dimanche 13 octobre 2019

Diversité bourgeoise

Les nécessités du chômage m'amènent en ce moment à fréquenter un monde que j'avais jusqu'ici soigneusement évité, celui des écoles privées ; et qui plus est, vu le lieu où je vis, des écoles privées extrêmement chères destinées aux rejetons de la grande bourgeoisie. En fait, certaines des écoles privées les plus chères du monde.

Je ne dirai pas "grande bourgeoisie internationale" car péjorer le caractère international de cette grande bourgeoisie est un vieux message subliminal nationaliste et antisémite ; et aussi parce que cette expression n'a pas de sens : la grande bourgeoisie est toujours grande bourgeoisie de quelque part, même si, par cela même qu'elle est la grande bourgeoisie, elle ne rencontre jamais aucun obstacle, elle, à s'installer dans quelque pays qui lui chante.

Une grande bourgeoisie d'origines diverses, donc, dans ces établissements scolaires taillés pour elle, et qui, pour recruter leurs élèves, ou plutôt les parents de ces élèves, racontent de jolies histoires. Leurs vidéos de présentation parlent d'un monde merveilleux de bienveillance et d'épanouissement, de communion avec la nature, de musique, d'arts, de sports, de développement personnel. Il y fait toujours beau. Il y fait surtout propre : la lumière, les surfaces, l'eau, tout est filmé pour évoquer un monde de pureté, indemne de pollution. La variété des nationalités des élèves est abondamment mise en avant sous le nom de diversité pour masquer l'absolue homogénéité sociale. On insiste beaucoup sur cette "diversité" et sur l'enrichissement mutuel qu'elle apporte. Promesse de découvertes culturelles et d'ouverture d'esprit. Les élèves filmés sont soigneusement choisis pour représenter diverses couleurs de peau, régions du monde, cultures ; du reste, tous et toutes sont beaux, souriants et minces. On nous parle de démocratie, de vertus, d'engagement humanitaire. Ces établissements promettent de former des êtres humains non seulement intelligents mais également beaux, empathiques, solidaires et bons.

Pourtant c'est cette même grande bourgeoisie qui, quel que soit le lieu de la planète, pille, pollue, saborde la démocratie avec le plus grand mépris pour l'humanité de ceux de ses semblables qui n'ont pas eu le bonheur de naître riches. Les parents de ces enfants impeccablement coiffés sont banquiers d'affaire, grands propriétaires immobiliers, traders en matières premières. Rentiers. Empereurs industriels. Grands patrons. Dictateurs. Leurs fortunes touchent toujours de plus ou moins loin à la mise en esclavage d'autres êtres humains et à la destruction de l'environnement. Leur richesse exige cet esclavage, cette destruction. Leur action politique vise en permanence à la perpétuation des inégalités existantes et à leur accroissement au nom du profit qui est le fondement même de la définition de ce milieu social.

Alors je me demande si ce discours de la bonté, de la pureté, de la diversité, de l'amour universel qui est celui de ces établissements scolaires pour enfants grand-bourgeois, je me demande si ce discours est un écran de fumée destiné à projeter une image à l'opposé du monde chaotique, injuste, violent et pollué que ces grands bourgeois contribuent perpétuellement à créer. Je me demande si ces grands bourgeois arrivent aussi à se persuader eux-mêmes que ce sont là leurs valeurs, leur contribution à la société. Je me demande s'iels croient eux-mêmes à la diversité qu'iels revendiquent. S'iels se rendent compte de la discordance. Si c'est un discours uniquement pour les enfants, si les adultes sont à ce point cyniques ou si eux aussi aiment à croire.

Ou alors si cette grande bourgeoisie s'imagine vraiment pouvoir créer sa propre petite bulle de bonté réciproque, de respect des différences et d'écologie, mais seulement pour eux, une utopie VIP blottie dans la pureté des montagnes enneigées. Comme si la justice sociale et l'air pur pouvaient exister juste pour quelques-uns.